Instants

Publié le par Tv39

Un bar, la fontaine des innocents, une quiche d'avant-hier dans mon assiette, des amerloques à la table d'en face. Un serveur aussi affable que la belle-mère de Salazar. Trois fois que les ricains réclament une nouvelle carafe d'eau, trois fois qu'il trace sans réagir. Trois fois quelques gouttes du ciel. D'instinct je déploie ma serviette au dessus de mon assiette. Non que je procède de la sorte à chaque pluie déjeunère, il ne pleut d'ailleurs pas. C'est juste la troisième fois qu'au cinquième, on arrose sadiquement les géraniums.

Quatrième fois que l'Amérique fait état de sa soif. Je me lève, lègue ma carafe, et lorsqu'ils me gratifie d'un thanks dude, je rétorque machinalement un ts'allrite, mate, he's just behaving a prick. Et puis ils partent, et le chef de eux, ostensiblement devant le serveur affable, me pointe du doigt en prononçant en capitales : "...and thank YOU". Les relations franco-américaines se réchauffent. Mais quand je suis parti, c'est sur leur table qu'il y avait un pourliche.

***

 

 "Alors, avec un croissant au beurre..." bip bip bip... "deux cent dix euros". C'est ma boulangère. On est potes. Quand elle dit le prix, elle lit pas la virgule et on se marre. Mais elle l'a fait à un client quelconque derrière moi et je songe à revoir à la baisse cette relation de confiance qui s'était difficilement installée entre nous.

 

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"Boh, vous seriez venus il y a trois semaines, vous auriez vu Paul, il est passé." Il nous raconte ça tranquillement, en anglais dans le texte, pendant que je tapote le Steinway noir dans le coin. "C'est là dessus qu'il a composé Hey Jude". Léger recul. "On n'a rien touché depuis 1970. Si, une fois, on a refait la peinture." C'est le studio 2, quoi. On en vient à relativiser depuis qu'on a investi ce matin le studio 1 d'Abbey Road et que le Philarmonic de Londres remballe ses instruments. On croise le harpiste dans les couloirs et on s'accorde pour dire qu'il est pas dans l'orchestre par hasard.

 

***

 

Là ils sont rentrés et ça a pété. Nicolasse Keïdge fait une sale gueule et on voit qu'il pense que le film va mal évoluer. Boum. Ca crépite, ça fuit du plafond, ils rencontrent un pompier la gueule en sang et se font une accolade interminable. "Vous avez la télé ?", il dit. "Il parait qu'un deuxième avion est rentré dans la tour nord", et l'écran s'est rallumé. Temps mort. Crépitement. "Mesdames, Messieurs. Ici le poste de sécurité. Pour des raisons de sécurité, veuillez quitter la salle en vous dirigeant vers les issues de secours... Mesdames, Messieurs..." Regards inquiets. Les sièges se libèrent en vingt secondes. Les longs couloirs pour rejoindre le Forum des Halles résonnent de pleurs affolés de gosses qui ne veulent pas mourir. Mais il pleuvait dehors. C'était une infiltration d'eau dans la salle 1. Pendant ce temps, dans un lieu tenu secret, la DST interrogeait Laurent Romejko qui se bornait à nier l'évidence.

 

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K
joli!!
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